Il est 21 heures. Michaël Russo, 33 ans, scrute la foule depuis l’entrée du pilier est de la tour Eiffel. Tee-shirt bleu et sac à dos de baroudeur, il attend impatiemment un mystérieux couple d’Australiens : « Tout ce que je sais, c’est qu’ils arrivent de Londres », explique-t-il, le téléphone à la main. Quelques minutes plus tard, Aron et Simone fendent la foule et se dirigent droit sur lui. Ils se saluent, échangent quelques paroles et s’en vont au restaurant pour un dîner rapide. Ils ne se connaissent pas et ne se sont jamais vus. Pourtant, ce soir, les deux Australiens dormiront chez lui, à Clamart. C’est tout l’esprit Couchsurfing, qui signifie « surfer sur un canapé » : au départ un site Internet, maintenant une organisation à but non lucratif, qui a pour vocation de « connecter les gens et les endroits à travers le monde ». Concrètement, les « hôtes » mettent à jour leur profil sur le site avec la description de leur canapé, ou même de leur chambre d’ami. Les « couchsurfers », eux, envoient une requête au profil qui les intéresse, en précisant leurs dates d’arrivée et de départ et leurs traits de personnalité. A l’hôte d’accepter ou non. Les visiteurs s’installeront alors chez lui, sans débourser un centime. Après la rencontre, chacun laisse un commentaire sur le profil de l’autre. Positif dans l’immense majorité des cas. Lancé en 2003, d’après l’idée d’un webmaster américain, Casey Fenton, qui avait testé le concept lors d’un voyage en Islande, il compte plus d’1,2 million de membres répartis dans 232 pays. Selon le site, 23 % des personnes inscrites sont Américaines, tandis que la ville qui compte le plus de d’hôtes au monde (23 000 surfeurs) n’est autre que Paris. Dans le métro qui file vers la gare du Nord, où les deux Australiens ont déposé leur valise en consigne pour la journée, une conversation s’engage sur les lieux à découvrir dans la capitale tout en évitant le trop-plein de touristes. Pour Michaël, l’accueil est primordial : « J’essaie de recevoir les personnes le mieux possible : je leur montre l’appartement, je leur explique où prendre le métro, et si la confiance est installée je leur laisse les clés. Le soir je les rejoins pour un verre ou pour dîner, et on rentre ensemble. J’essaie toujours de passer du temps avec les couchsurfers, car je peux leur montrer des coins qu’ils ne connaissent pas, et c’est pour moi l’occasion de rencontrer des gens. Quand je suis hébergé, j’essaie de même d’être le plus reconnaissant possible pour ce logement gratuit. » Il n’a jusqu’à maintenant pas eu de mauvaise expérience avec le site. Aron Alexander, grand rouquin originaire de Melbourne, a troqué son costume de commercial dans une agence de voyage pour endosser celui du globe-trotter au passeport rempli de tampons exotiques. C’est la première fois qu’il fait du couchsurfing. « Je découvre le site. J’ai envie de voir des choses qu’un touriste ne voit pas. En échange, je peux faire un geste pour remercier, comme préparer à manger ou faire découvrir la culture australienne. » Simone Malczewski, qui voyage avec lui, n’en est pas à sa première expérience avec le couchsurfing. L’énergie de cette petite masseuse de 30 ans, née au Brésil mais récemment installée à Sydney, tranche avec le calme affiché d’Aron. Avec ses tongs et sa mini-jupe en jean, elle a du mal à soulever sa grosse valise. « J’ai découvert le site il y a deux ans. Avant d’arriver à Paris, j’étais au Japon. Mon hôte à Kyoto, par gentillesse, m’a donné sa chambre et a dormi dans la cuisine ! Mais à Tokyo, cela s’est moins bien passé : mon hôte me parlait à peine, c’était bizarre. Je pense mettre une évaluation négative. » Car il ne faut pas être naïf, tout ne se passe pas toujours comme prévu. Un peu trop de proximité de la part de l’hôte ? Un visiteur qui prend l’appartement pour un hôtel ? Les risques de dérapage sont nombreux et avec eux la fin de cette utopie à visage humain. Ainsi que le rappelle le site, « le but n’est pas de trouver un endroit gratuit où passer la nuit aux quatre coins du monde ». Mais, comme le rappelle Michaël, « de toute façon l’hôte opère une sélection en amont, en fonction des profils et des affinités. »